Peintures et volumes de 1950 à 1980

Voici un aperçu de cet ensemble de peintures et de sculptures au cœur de la collection ! Les principaux courants artistiques européens et américains de ces décennies sont représentés –abstraction lyrique ou géométrique, CoBrA, Nouveau réalisme, figuration narrative, Pop Art, Supports/Surfaces – mais aussi des personnalités inclassables et indépendantes qui font l’originalité et la richesse de la collection…

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Andy Warhol (Pittsburgh, 1928 – New York, 1987)

Car crash, 1963, sérigraphie sur toile, donation de l’association l’Art Contemporain

En 1962, Andy Warhol commence à reproduire, grâce à la sérigraphie, les emblèmes et les icônes de la société de consommation : images du dollar, de stars de cinéma, de boîtes de soupe Campbell ou bouteilles de coca-cola. La série des Car Crash s’inscrit dans cette démarche mais elle s’en détache par son sujet.

Au premier plan, accidentée, la voiture est coupée en son centre par un platane. À son bord, le chauffeur est désarticulé par la violence du choc. Au second plan, un groupe de curieux observe la scène. Andy Warhol utilise la monochromie afin de créer un effet de solarisation, grâce à la couleur orange qui ressort de la surface noire. Il brise les codes traditionnels de l’art car le spectateur doit regarder trois images identiques, la troisième coupée par le cadre. L’artiste réalise ce montage grâce à la photographie d’un accident de voiture tirée d’un journal quotidien. Par la sérigraphie, la main de l’artiste disparaît et l’œuvre devient un produit industriel de consommation banale conçu à la chaîne. Ce crash symboliserait la chute de l’abstraction et marque aussi le début de l’exploitation par Warhol d’images violentes qui se retrouvent dans sa grande série sur le thème de la mort intitulée Death and Disasters, qui comprend également la série des « Chaises électriques », des « Suicides » ou de la « Bombe H » . C. D.

Pierre Soulages (Rodez, 1919)

Peinture 9-8-66, 1966, huile sur toile, donation de l’association l’Art Contemporain

Quoiqu’antérieure de plus d’une dizaine d’années à l’émergence du concept d’« outre-noir » développé par le peintre, cette peinture à l’huile, caractérise déjà l’effort poursuivi par Pierre Soulages de raréfier et simplifier les moyens de la peinture.

Autoréférentielle – Soulages ne dépeint pas, il peint –, austère, rude et solennelle, cette œuvre témoigne du chemin singulier emprunté par le peintre, à l’écart d’une abstraction gestuelle née après-guerre. L’attention est en effet davantage portée à l’organisation spatiale et à l’équilibre des formes et des couleurs qu’à une expressivité « lyrique » du mouvement de la brosse. L’œil du peintre contrôle et commande la main.

Cette « architecture », muette, néanmoins évocatrice d’une dialectique spirituelle ou métaphysique entre le transparent et l’opaque, l’extériorité et l’intériorité, recouvre peut-être, sur un plan psychique cette fois, l’idée d’une unité du Moi, conscient de son étrangeté à lui-même. M. S.

Bernard Pagès (Cahors, 1940)

Colonne, 1981, béton et bois peints, donation de l’association l’Art Contemporain

Proche du groupe Supports/Surfaces à la toute fin des années 1960, quoique volontiers en retrait de toute appartenance, Bernard Pagès, explorateur de « tous les possibles de la sculpture » (Daniel Abadie), est surtout connu pour ses œuvres sculptées faisant éclater la verticalité et déplaçant le centre classique de gravité de la statuaire traditionnelle.

D’une manière tout aussi significative, cette Colonne, totémique, qui fait s’alterner des blocs de bois et de béton peints, affronte la prétendue opposition entre le naturel et le manufacturé. Ces matériaux récupérés y sont travaillés dialectiquement, dans un très physique corps-à-corps, soulignant ainsi leur résistance l’un à l’autre.

Le travail de finition de l’artiste, par la complémentarité chromatique choisie du rouge et du vert, offre à ces éléments, qu’une fausse évidence oppose, l’accès au stade de la synthèse. M. S.

César (Marseille, 1921 - Paris, 1998)

Compression de voitures, 1983-1984, éléments de voitures, donation de l’association l’Art Contemporain

Artiste phare du mouvement du Nouveau Réalisme, César se fait connaître par les compressions d’objets à partir de 1960. Il expérimente cette technique dans une usine de récupération de métaux à Gennevilliers où il se sert d’une machine pour réaliser des œuvres d’art.

Cette technique, qui réduit les objets à un bloc compact, donne une dimension nouvelle à la sculpture et constitue une avant-garde à elle seule. Par une compression dirigée et grâce à la presse hydraulique, sans l’intervention directe de la main de l’artiste, la matière de jantes et de carcasses de plusieurs voitures choisies au préalable est remodelée. La machine-outil et la matière dialoguent pour manifester les potentialités plastiques d’un objet non noble révélées par des plis, des creux, des couleurs vives, de chrome et d’acier. La voiture n’est plus un produit industriel car ce résidu se transforme en un objet d’art livré au regard. C. D.

Arman (Nice, 1928 – New York, 2005)

Chiaroscuro, 1976, combustion de violons découpés et assemblés sur aggloméré, donation de l’association l’Art Contemporain

Chiaroscuro, œuvre datant de 1976, est le point de convergence de trois « méthodes » – terme emprunté au critique d’art Pierre Restany, défenseur du groupe des Nouveaux Réalistes auquel appartient Arman – d’exploration de l’objet successivement développées de 1955 à 1964, par l’artiste : « Empreinte », « Colère », et « Combustion ».

Les violons vandalisés y sont morcelés et brûlés sur un support, qui l’est également. Parfois, le décalage entre un fragment et son « ombre portée » par brulure accentue la fonction de pochoir de l’objet, conférant ainsi à l’œuvre l’allure générale de composition d’empreintes et de contre-empreintes.

L’œuvre procède d’un étonnant pont tendu entre volonté scandaleuse et assumée de ne faire que « présenter » l’objet éclaté et le souci respecté de l’efficacité de la composition picturale.

S’y adjoignent les traces historiques d’un héritage cubiste attentif au dévoilement de l’être, sous toutes ses faces, et celles d’une stricte et inquiétante leçon d’anatomie des habitudes consommatrices de nos sociétés. M. S.

Bengt Lindström (Storsjö Kapell, Suède, 1925 – Sundsvall, Suède, 2008)

Hommage à Oscar Wilde, 1966-1967, huile sur toile, don d’Eugène Dodeigne
 

Hommage à Oscar Wilde était à l’origine le pendant d’un Hommage à André Gide. Réalisé à grands coups de brosse, dans une pâte onctueuse et grasse, le visage de l’écrivain sort de la matière, structuré par des oppositions de couleurs franches, rouge, vert et jaune. Il s’anime d’un regard mélancolique souligné de blanc. Les mouvements tournoyants et les profonds sillons de peinture sur la toile révèlent l’énergie de la matière-même.

Portrait défiguré, l’œuvre transcrit avec force et brio une conception anticlassique de la beauté, affranchie de toute justification intellectuelle. Oscar Wilde a lui-même écrit un roman fantastique, Le Portrait de Dorian Gray mettant en scène un dandy, qui par vanité, souhaite que son portrait vieillisse à sa place. Obsédé par son image, l’homme y est décrit torturé, nerveux, excessif, comme l’est aussi l’œuvre de Lindström. S. W.

Pierre Alechinsky (Saint-Gilles-Bruxelles, 1927)

Rouge lavé, 1978, acrylique sur papier de Taïwan marouflé sur toile, donation de l’association l’Art Contemporain

Richesse des signes et des moments mêlés : Rouge lavé est le témoin d’une hybridation des différents lieux et traditions artistiques dans lesquelles Pierre Alechinsky a puisé les éléments de son langage plastique, en les réinterprétant : Extrême-Orient, graffiti et dessin d’enfants.

De l’initiation du peintre à la calligraphie orientale, Rouge lavé retient le format vertical du kakemono japonais, la technique de la peinture sur papier posé au sol et le principe d’une gestualité accompagnant le voyage du pinceau.

De CoBrA, groupe auquel l’artiste a pleinement adhéré dès sa constitution en 1948, puis au cours de son existence relativement courte, Rouge lavé conserve l’imaginaire fécond et primitiviste, l’éclat des couleurs les bestiaires et les figures informes, où le surgissement irrationnel du signe, à la manière presque de l’automatisme surréaliste, ne naît pas d’un sens prédéterminé. M. S.

Ben (Naples, 1935)

Correspondance de Ben, ou Musée de Ben, 1972, objets manufacturés et matières diverses disposées dans une armoire et sérigraphie acrylique sur toile, donation de l’association l’Art Contemporain

Logique de l’armoire et du tiroir, celle de l’ouverture et de la fermeture.

Jeu de la profondeur de l’allégorie et de l’impudeur légère, égocentrique et provocatrice.

Sens et non-sens simultanément.

Logique aussi du flux, des instants se refusant à toute historicité et toute narration, malgré les lettres, les phrases et les signes.

S’inscrivant dans la pratique initiée par Georges Brecht, et poursuivie par George Maciunas et d’autres membres de Fluxus, de production de boîtes, matérialisant des events (événements), la Correspondance de Ben qui classe (l’artiste se dit lui-même « maniaque du classement »), inventorie, archive, procède de l’esprit de ce mouvement, auquel l’artiste s’est associé. De même que pour Allan Kaprow, autre représentant de Fluxus, « manger des fraises, respirer, transpirer » fait œuvre ou objet d’art, la démarche de Ben vise à intensifier et exalter l’expérience ordinaire. Chez lui, cela va parfois jusqu’à la diviniser. M. S.

Niki de Saint Phalle (Neuilly-sur-Seine, 1930 – San Diego, 2002)

La Tempérance, 1982, résine peinte, achat à l’artiste avec le soutien du FRAM et de l’association l’Art Contemporain

Plasticienne, peintre, sculptrice, réalisatrice, Niki de Saint Phalle réalise la série des Nanas dans les années 1960, à l’aube du Mouvement de Libération des Femmes. L’artiste montre une image nouvelle de la femme, heureuse de vivre et libre, prête à conquérir un monde dominé par les hommes. L’idée de ces drôles de sculptures lui est venue en regardant un dessin de femme enceinte. Ses œuvres deviennent parfois monumentales, de véritables architectures-sculptures quand il s’agit de son Jardin des Tarots en Toscane où Niki de Saint-Phalle crée un environnement fantastique inspiré de vingt-deux arcanes du jeu de tarot.

La Tempérance de la collection du LAAC est inspirée de ces cartes, réinterprétées par l’artiste et incarnées par ses Nanas. Elle est également appelée « l’ange protecteur », symbole de la libération. La tempérance est une vertu qui recommande de ne pas se livrer aux excès, de goûter les plaisirs de la vie avec une juste mesure. Selon la tradition, elle mélange, grâce aux récipients argentés qu’elle tient dans chaque main, de l’eau dans du vin pour l’adoucir. Elle est représentée debout, en équilibre, bleue, symbole de la spiritualité et de l’âme. Ses courbes douces et arrondies évoquent une présence maternelle et protectrice. C. D.

LES AUTEUR.RICE.S

Claudia DUPONCHEL, Matthieu SENHADJI, Sophie WARLOP

©ADAGP, Paris, 2020.
Andy Warhol ; Pierre Soulages ; Bernard Pagès ; César ; Arman ; Bengt Lindström ; Pierre Alechinsky ; Ben ; Niki de Saint Phalle