L’art sur papier : dessins, estampes et photographies
Le volume et la richesse de la collection d’arts graphiques du LAAC constitue un élément phare du musée ! Ces œuvres bénéficient au quotidien d'une attention particulière du fait de leur fragilité mais aussi d’une présentation originale et d’une médiation active. Un vaste cabinet leur est consacré, permettant de montrer en permanence plus de 150 dessins, estampes et photographies, tandis que les plus grands formats sont présentés par roulement dans les salles…
N'hésitez pas à cliquer sur les images pour profiter des oeuvres en grand format !
Hervé Télémaque (Port-au-Prince, 1937)
Perchoir, la Bête bourgeoise, 1980, papiers collés et crayon, donation de l’association l’Art Contemporain
Après quatre années new-yorkaises qui l’ont convaincu de l’impact formel des images nouvelles du Pop Art, tout aussi efficaces que celles des Abstractions, Hervé Télémaque s’installe à Paris en 1961. Il sera dès lors au cœur du dispositif théorique de la Figuration narrative, mouvement cherchant à introduire une dimension temporelle dans l’image, par différents procédés : superposition ou juxtaposition d’images, ou encore appropriation des codes d’autres arts plus récents, comme la bande dessinée ou le cinéma.
Perchoir, la Bête bourgeoise, collage tardif de 1980, reprend et détourne l’affiche originale du film de Luis Buñuel, Le charme discret de la bourgeoisie (1972).
L’œil attentif décèlera, dans ce montage calculé d’images et de textes, autant la charge virulente contre un traditionalisme petit-bourgeois, dissimulant mal une violence militariste, qu’un retour aux premières amours surréalistes de l’artiste.
Là, l’œil et l’esprit se plaisent à déplier les énigmes multiples de cette « image-valise » polysémique. M. S.
Bernard Pagès (Cahors, 1940)
Empreinte de pluie, 1971, empreintes de gouttes, encre en poudre sur papier cartonné, don Bernard Pagès
Bernard Pagès, proche des artistes du groupe Supports/Surfaces, observe les traces et les phénomènes naturels qui donneront naissance à de nombreuses œuvres sur papier. Le souci permanent d’innover dans l’utilisation de matériaux, d’instruments et de techniques non conventionnels, souvent pauvres, apparaît dans l’œuvre Empreinte de pluie. À l’opposé de ses sculptures qui sont des créations caractérisées par le combat entre l’homme et la nature, travail très physique, son dessin est une empreinte de pluie, trace d’un instant, d’un évènement fugitif, d’une transformation. Les traces de gouttes d’eau sur un papier cartonné saupoudré d’encre en poudre nécessitent l’intervention d’éléments non maitrisés par l’artiste. Les dessins des empreintes de pluies enregistrent les différences entre pluie fine et grosses gouttes. Le dessin n’est pas de la main directe de l’artiste mais l’œuvre du temps qu’il cherche à capter. C. D.
Jean Tinguely (Fribourg, 1925 – Berne, 1991)
Vive les architectes, 1964, technique mixte (dessin au stylo, à l'encre, collages, tampons),
achat à la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois (Paris) en 2018
Jean Tinguely est un artiste incontournable du Nouveau Réalisme, au même titre que César et Arman dont les œuvres figurent dans la collection constituée par Gilbert Delaine à partir des années 1970. L’acquisition en 2018 de deux dessins, dont celui intitulé Vive les architectes ! qui provient de la collection Iolas de Genève, vient enrichir le fonds d’arts graphiques du musée. Il s’agit d’une œuvre-missive envoyée par l’artiste par voie postale, pour annoncer une exposition à la Galerie Iolas. Ce dessin sous forme de collage-annonce comporte les noms de « Tinguely » et « Iolas » réalisés au tampon dans la partie supérieure. Au centre, le croquis évoque Eurêka, la première sculpture cinétique de l’artiste présentée en 1964 dans l’espace public. La composition de ce dessin à l’encre dégage un dynamisme certain.
La fusée évoque la machine moderne, chère à Tinguely. La silhouette du rhinocéros, associée à celle de l’autruche, fait peut-être référence au dramaturge Eugène Ionesco, avec qui Tinguely partage une certaine esthétique de l’absurde et le refus de la narration. Quelques collages et tampons représentant des plantes, des animaux mais aussi des fragments de manuels techniques et d’ouvrages didactiques, colorés et joyeux à la fois, contribuent à la drôlerie de l’œuvre. C. D.
Michèle Katz (Paris, 1936)
Mamur, 1974, encre sur papier, don de Michèle Katz en 2017
Mamur fait partie de la soixantaine de dessins qui composent la Chronique d’une femme mariée réalisée entre 1971 et 1975 par Michèle Katz, représentante de la Nouvelle Figuration. Cette série évoque plus ou moins directement la vie de l’artiste dans le contexte des années 1970, période de son engagement dans le Mouvement de libération des femmes. Ni journal intime, ni récit documentaire, elle dépeint au moyen de scènes imagées et de signes évocateurs, le contrôle des corps et de la sexualité – en particulier féminine –, le désir et le non-désir d’enfant, la critique de la famille et les rapports conflictuels entre hommes et femmes.
La feuille de papier est comme une scène, d’où les personnages émergent, souvent isolés les uns des autres. Dans Mamur, l’homme, à côté de la femme qui projette une ombre longue, n’en projette, lui, aucune. Le couple semble évoluer dans deux réalités différentes. L’attitude corporelle du personnage féminin semble même se refuser au dialogue : elle détourne la tête, bouche serrée, tandis que son ombre crie. H. A.
Christian Dotremont (Tervuren, Belgique, 1922 – Bruxelles, 1979)
Vous voyagez beaucoup ?, 1978, encre noire et crayon sur papier, donation de l’association l’Art Contemporain
Pour Christian Dotremont, « la vraie poésie est celle où l’écriture a son mot à dire ». En inventant en 1962, le logogramme, le poète réunit l’imagination poétique et l’imagination graphique dans une même œuvre. Manuscrit de premier jet, le logogramme est une peinture de langage où le texte du poème est tracé spontanément sur le papier sans souci de lisibilité. En franchissant « le mur de la lisibilité », Dotremont révèle la beauté plastique de l’écriture qui relève à la fois du geste et du verbe unifiés.
Réalisé quelques mois avant la mort de Dotremont en 1979, ce grand diptyque, intitulé Vous voyagez beaucoup ? évoque, sous la forme d’un dialogue, les voyages passés et imaginaires du poète à travers le Grand Nord sur les traces de sa muse Gloria. V. V.
Daniel Dezeuze (Alès, 1942)
La Vie amoureuse des plantes, 1994, lavis et plume de roseau sur papier, achat en 2008 avec le soutien du Fonds Régional d’Acquisition pour les musées
La Vie amoureuse des plantes est tirée d’un cycle très important, entrepris par Daniel Dezeuze au début des années 1990 et comprenant des dizaines de dessins. L’artiste trace souplement des traits comme une transcription du foisonnement de la vie, de l’éternel recommencement et du mouvement perpétuel de la nature. Il se réfère volontiers au traité scientifique De Natura Rerum du poète latin Lucrèce.
Des lignes serpentines, lyriques, fortuites, presque exaltées, se croisent et flottent librement dans un espace fluide évoquant la légèreté, le balancement, le souffle du vent... toute l’activité d’un microcosme à portée de main de l’artiste, celui de son jardin.
Daniel Dezeuze travaille debout à la table, au-dessus et proche de son dessin. Il n’est pas contraint par une posture. La proximité avec le papier l’empêche de faire de grands gestes. Une partie du dessin lui échappe toujours visuellement, en autant d’angles morts causés par la proximité. La forme rhizomatique en découle.
Ces dessins constituent également un écho aux sculptures élastiques, souples ou extensibles qui ont fait connaître l’artiste. S. W.
Georges Rouault (Paris, 1871 – Paris, 1958)
Plus le Cœur est noble moins le col est roide, élément de l’ensemble Miserere, 1922, héliogravure, eau-forte, aquatinte et pointe sèche sur papier, donation de l’association l’Art Contemporain en 1981
Entre 1914 et 1917, Georges Rouault réalise une série de dessins à l’encre de Chine transférés ensuite sur une plaque de cuivre par le marchand d’art Ambroise Vollard. Jusqu’en 1927, l’artiste retravaille longuement ces planches, passant par des états successifs et plusieurs techniques avant d’obtenir l’épreuve finale. L’album est alors achevé et les matrices rayées, mais l’ouvrage complet ne pourra être édité qu’en 1948.
Le Christ et la Mort sont les principaux sujets du Miserere. Georges Rouault écrivait : « Il n’y a pas d’Art Sacré, il y a l’art tout court et c’est assez pour remplir une vie ». L’horreur de la guerre, les massacres et la misère humaine sont l’essence même des réflexions menées par l’artiste. Le velouté en demi-teinte de l’aquatinte, l’importance des noirs rendus par l’eau forte, la force et la vigueur des pointe sèche, grattoir et brunissoir qui viennent parfois violemment griffer la plaque, confèrent aux œuvres toute leur lumière, leur force et leur vigueur. M. M.
Peter Saul (San Francisco, 1934)
Hitler’s other dog, 2008, acrylique et crayon sur papier, achat avec le soutien du Fonds Régional d’Acquisition pour les musées
Hitler’s other dog fait partie d’une série de dessins réalisée par Peter Saul en 2008 sur les grands dictateurs. L’artiste fait régulièrement usage de l’esthétique de la bande dessinée pour alimenter un discours critique.
Le gentil toutou de cartoon, arborant l’insigne du parti national socialiste allemand, remue la queue et lève la patte face à l’armée américaine. Burlesque, il se rapproche de la série des « Donald Duck » des années 1960 ou des peintures politiques contre la guerre du Vietnam ou dénonçant les discrimination raciales aux États-Unis. Le ridicule de la situation et le mépris, manifesté par l’index qui désigne, constitue un acte de dénonciation de l’indignité humaine.
Le LAAC possède un autre dessin de la série, intitulé Stalin’s cat. S. W.
BEN (Naples, 1935)
Buvez Coca-Cola frais, 1960, sérigraphie sur toile, élément de l’ensemble Correspondance de Ben, don de la galerie Sapone, Nice, en 1982.
Récurrent dans le travail de Ben, l’emploi du mot s’inscrit dans une conception aussi personnelle que dérangeante de la pratique artistique. Sa démarche a pour but de redéfinir l’art comme une attitude face au monde, basée sur l’expérimentation protéiforme. L’élimination de la virtuosité garantit la démocratisation et la démystification de l’art.
Ben s’adresse au regardeur : boire Coca-Cola frais, c’est exécuter un morceau de vie ; l’art est la vie, donc boire Coca-Cola frais est une attitude artistique. Dans d’autres œuvres, Ben écrit : « N’importe quoi fait art » ou « Tout est art ». Ben signe aussi les œuvres d’autres artistes, Dieu, des objets divers… Il revendique l’individualisme comme seul critère d’authenticité et appose ici une signature très apparente. Son écriture même est parfaitement reconnaissable.
Ben s’attaque à des idées politiques, à la société… L’infantilisme apparent de l’inscription cache une profonde volonté de supériorité. L’artiste s’approprie Coca-Cola ; l’écriture manuscrite maladroite défait ainsi le logo de la boisson fétiche. S. W.
Jacques Doucet (Boulogne-Billancourt, 1924 – Paris, 1994)
Le Promeneur de Silkeborg, 1991, sérigraphie sur papier, don de l’association l’Art Contemporain
Le Promeneur de Silkeborg est une œuvre atypique au sein de la production d’estampes de Jacques Doucet car elle fut tirée en 1991 à partir d’une huile sur toile exécutée l’année précédente. Cette sérigraphie est la plus grande réalisée par l’artiste. Doucet rend ici hommage à son ami Asger Jorn qui fut l’un des principaux représentants du groupe CoBrA fondé à Paris en 1948. Le titre fait référence à la petite ville danoise de Silkeborg où Jorn avait été soigné au sanatorium lorsqu’il souffrait de la tuberculose. Dans les années 1960, Jorn crée à Silkeborg un musée consacré aux artistes de CoBrA au nombre desquels figure Jacques Doucet qui, avec Atlan, représentait la France au sein du groupe nordique. V. V.
LES AUTEUR.RICE.S
Hanna ALKEMA, Claudia DUPONCHEL, Myriam MORLION, Matthieu SENHADJI, Victor VANOSTEN, Sophie WARLOP
©ADAGP, Paris, 2020.
Hervé Télémaque ; Bernard Pagès ;Jean Tinguely ; Michèle Katz ; Christian Dotremont ;Daniel Dezeuze ; Georges Rouault ; Peter Saul ; BEN ; Jacques Doucet